Alors on se crée une smala nouvelle, peu intéressante mais vivante, bruyante et, oh, comme ils sont nombreux. Loin de s'en gêner, ne tire-t-on pas de cette sphère une certaine satisfaction ? N'est-ce pas là la preuve indéniable que l'on plait, que l'on entretient les rires, les bonnes humeurs et les tons mélodieux ? La masse sociale, presque aussi influente que l'argent. Un réseau vaut une liasse, n'est-ce pas ?
Puis la sphère se rétracte. Un peu. Quand les temps vont mal pour tout le monde, que les besoins sont présents chez chacun
(car ce n'est que le début de la fin du monde). Alors on fait, tous, un pas en arrière. Et ceux restés en place ont créé, malgré eux, une élite singulière. C'est une règle vieille comme le monde, l'on n'apprend ici rien de nouveau.
Laissons à la sphère toutes ses largeurs. Revenons sur les relations spontanées, celles que l'on enserre bien fort, dans un garrot mortel, pour ne pas rester seul. Celles-là sont plus mortelles que vos étreintes désespérées. Elles détiennent les rênes, comprenez-vous ? Elles tirent sur vos brides et vous vont pleurer et rire et sauter selon leur gré. Elles vous créent une accoutumance.
Les êtres humains, plus nécessaires que la cigarette.
Alors ils parlent. Ils parlent, ils parlent. Et ils vous disent que vous leur manquez. Et vous répondez, aussi, avec ce même ton implorant, qu'ils vous manquent atrocement, que le temps s'étire et refuse d'être digéré. Et cela dure des heures.
Enfin, le bruit des mots retombe, comme les poussières d'une ruine. Que reste-t-il ? Une seule phrase, répétée mille et une fois : « nous nous manquons ». Et le dialogue s'arrête là. Il refuse de déplacer ses possibilités, braqué – le têtu – dans une idée immobile. Les voyageurs immobiles n'existent pas, tout le monde sait cela.
Si le Soi et les Autres se figent sur une idée, c'est parce qu'il n'y a rien à construire autour.
Rien à dire. Comprenez-vous la différence ?
Il faut plus d'une idée pour tenir des illusions.
Et il faut être rêveur pour le comprendre.
]]>
Je m’interroge souvent sur deux « si » envahissants ; ceux-là même qui décourageraient les éternels adversaires.
Le duel, sous toutes ses formes, a-t-il un but ? Deux êtres qui s’entrechoquent savent-ils seulement pourquoi ils le font ? Il y a la rage, bien sûr, de vieilles rancoeurs et un vent de western qui souffle, souffle toujours les clichés. Puis la poussière retombe et les ruines sont évidentes. Se sont-ils affrontés par principe ? Parce qu’ils sont naturellement de natures opposées ? Et si les perceptions se mettaient à changer, que se passerait-il ? Un camp peut-il se vanter de faire le Bien ? Ou bien proclame-t-il ce qu’il fait de Bien ? La différence est énorme, non ? Le Mal n’est-il pas la plus ambiguë des attentions ?
Peut-être s’affrontent-ils par incompréhension, pas par principe ?
Ou, encore, pour s’accorder un but ? La guerre permet-elle à l’homme de se sentir exister ? Je songe souvent aux grandes figures du cinéma qui se mènent de vicieuses escarmouches sur plusieurs volets. Au chapitre final, l’un des opposants est défait. C’est comme ça.
Et après ?
Que se passe-t-il, après, pour le Survivant ? Il n’est pas heureux, savez-vous. Il sombre dans la dépression.
Parce qu’il a assassiné son but de toujours, ce en quoi en il a cru, ce pour quoi il s’est sacrifié. Il lui a ôté son existence à mains nues. Et la ligne de sa vie, soudain, se brise et ne continue plus. Il a œuvré pour la morale et perd la sienne.
Terrasser le Mal est la pire des choses à faire, non ?
On ne saurait dire pourquoi mais le mouvement s'arrête, net, comme un animal à l'affût. Comme un instinct. On se fige pour contempler. On gèle dans la réflexion. L'on se camisole dans l'incompréhension.
Pour avancer, il faut pouvoir s'arrêter.
Et si les choses se fixaient avec nous, que se passerait-il ? Si, au lieu de glisser sur la loi de l'infini, le temps et ses pages se mettaient à notre hauteur ?
Il n'y aurait rien de plus terrifiant, n'est-ce pas ?
Envisagez ceci : nous cessons de courir pour comprendre la vitesse. Pour la ressentir physiquement. Si vous vous élancez à pleines jambes, sans but autre que de concurrencer le vent, vous vous contenterez de voir. Le paysage qui devient lignes de couleur et les contours qui changent de taille. Si vous stoppez, d'un coup sec, alors vous sentirez. Et vous tomberez en avant et vos écorchures vous diront « Tu vois ? Tu dépassais les limites. »
A se hâter au départ, il faut patienter pour en finir.
Moi je me fige aussi. Sur les photos. Sur les carrés de souvenir aux sourires nécessaires.
Alors je ne bouge pas mais le temps, autour du papier, passe et oublie de se retourner.
Et, Dieu, comme il passe vite.
[Source image : Deviantart/zukue]
]]>